Exposition à Paris du 3 au 9 juin 2024. Cliquez ici pour en savoir plus.
Pratique
des combos
Comme je ne sais pas comment vous parler de ma peinture, j’ai choisi de faire un pas de côté en vous invitant à partager mes réflexions sur la pratique du jazz dans les années 1940/1960. À vous de dire si ces notes sur le jazz vous parlent aussi de ma peinture?
UN ART
TOUT D’EXÉCUTION
« Ça m’embête quand les gens essayent d’analyser le Jazz comme si c’était un théorème intellectuel. Ce n’est
pas le cas, c’est un sentiment »
Bill Evans
Le jazz n’a rien à raconter ; rien à expliquer ni interpréter ; son propos n’est pas de convaincre, ni d’atteindre au sublime. Le jazz est une pratique, un art tout d’exécution. L’ambition des musiciens du combo n’est pas de raconter des histoires passionnantes, mais simplement de faire danser et de donner à chacun l’envie de danser sa vie.
« Ce que nous jouons, c’est la vie. »
Louis Armstrong
MAIS UN ART QUI TRANSCENDE
LA PAUVRETÉ DE SES MOYENS
Le combo est un petit groupe
de trois à six (ou huit) musiciens, cooptés pour former sous l’autorité d’un leader une combinaison
instrumentale singulière. Son organisation bipolaire est apparemment simple : une section mélodique chargée de
développer le thème du morceau et une section rythmique chargée de sanctuariser
le tempo et d’accompagner la mélodie. Les sources du répertoire sont des plus modestes : gospels, chansons,
standards populaires, simples riffs, etc.
L’interprétation, quoi que très raffinée et très sophistiquée, ne s’embarrasse pas de formalismes exigeants ni
de sentiments originaux, préférant la liberté
de l’improvisation au confort de la composition. Avec ses modestes moyens et son style propre, mariant
intensité, tension, sensualité et tendresse, le jazz
a produit une musique qui touche et surprend à la fois, à contre-courant des goûts de son époque pour le
formalisme de l’art constructiviste.
« Le jazz est vif, douloureux, doux, tendre, lent ; il apaise, il bouleverse, c’est de la musique et ce qu’il
rythme est vrai, c’est le pouls de la vie. »
André Maillet
UN ART PARFAITEMENT ADAPTÉ
À LA LIBERTÉ D’IMPROVISATION
Un jazzman, à ce que l’on dit, a deux idées en tête : comparer ses performances à celle du voisin dans des compétitions fraternelles et travailler sensuellement le corps des danseurs qui l’écoutent. Le combo, avec son effectif réduit, à la différence des big-bands, offre aux instrumentistes la possibilité d’improviser (de « chorusser ») à tour de rôle, de donner libre cours à leur inventivité et leur goût pour la liberté d’expression, et l’affranchissement des limites imposées. Cette créativité sans entrave associée à une grande maîtrise technique a donné au jazz son caractère anticonformiste capable cependant de maîtriser sa puissance sauvage.
« Le jazz, vous pouvez le sentir, mais vous ne pouvez pas l’expliquer »
J. Treadwell
S’APPUYANT SUR UNE STRUCTURE
RYTHMIQUE EN TENSION OUVERTE
Comme la liberté d’improvisation,
la contrainte rythmique et l’affaire
de tous les musiciens du combo, mais son sanctuaire c’est la section rythmique. Le jazz n’a jamais perdu de
vue ses origines de la Nouvelle-Orléans ni sa première manière
de Dixieland qui combinait si joyeusement la liberté sans frein des cuivres et la cadence syncopée des
tambours. Cette musique a beaucoup évolué et la section rythmique a beaucoup gagné en souplesse et en liberté
d’expression ; mais ce qu’elle n’a jamais oublié, c’est la base stylistique de son rythme : le swing.
C’est cette mystérieuse « puissance de vie » qui donne sa cohérence à toutes les forme de jazz. Les
musicologues expliquent bien les particularités de son organisation rythmique mais non sa séduction. Ce que
ressent l’amateur sensible, c’est tout autre chose ! Le combo bataille et résiste, rebondissant de tension en
tension, ouvrant sans cesse de nouveaux fronts d’intensité et comme un volcan qui gronde et fissure ses
flancs, qui lance au ciel des jets de flammes et de pierres en feu comme un chorus ardent, puis
se répand en grandes coulées de lave lumineuses et chaudes comme un air de blues. Et comme le volcan, le combo
qui brille de tous ses feux en surface sait bien que ses forces vives se cachent
au cœur de sa fournaise intérieure.
« Le rythme n’est pas une mesure, c’est une vision du monde »
Octavio Paz
« Le jazz, c’est du swing, une manière d’interpréter le tempo… Qui peut dire où ça commence et où ça s’arrête
? »
Didier Lockwood
UN ART QUI RECHERCHE INSTINCTIVEMENT
LA « PARFAITE IMPERFECTION »
Le swing, disait un personnage célèbre (Treadwell), « vous pouvez le sentir, mais vous ne pouvez pas
l’expliquer ». C’est pourtant ce mystérieux « feeling » qui donne
sa cohérence à toutes les libertés d’invention et toutes les contraintes
de la musique.
Ce qui surprend toujours, c’est l’adresse avec laquelle les musiciens du combo combinent rythmes et solos,
développent leur parti pris, leurs changements
de pieds, avec une apparente désinvolture, parvenant cependant à produire une musique qui étonne par sa grande
justesse.
Et en vérité, ce qu’il faut chercher à comprendre, c’est en quoi consiste cette « justesse » qui ouvre le
chemin à la parfaite imperfection.
« Le jazz c’est comme l’amour ; c’est n’importe quoi, mais pas n’importe comment »
Grégoire Lacroix
« Ce sont les notes qu’on n’entend pas qui sont les plus importantes »
Count Basie
EN SUIVANT LA VOIE
DE LA « JUSTESSE »
Des générations de musiciens ont fait du jazz une musique très codifiée. Il suffit d’ouvrir une recherche sur
Internet pour s’en rendre compte. Voulez-vous savoir
ce qu’est une grille d’harmonie, un accord de substitution, une balade, un swing, un chabada, une cellule
Anatole, une poursuite en chase ? Consultez une des innombrables descriptions et les tutoriels qui
en parlent dans toutes les langues. Vous comprendrez pourquoi des millions de jazzmen amateurs travaillent
avec tant d’assiduité leur technique et ses impressionnantes subtilités.
Pourtant, ce n’est pas cette complexité qui permet aux grands jazzmen d’exprimer leur personnalité et leur
créativité.
En fait, la technique du jazz a deux effets : d’un côté, elle renforce la cohésion instrumentale du combo et
de l’autre côté, elle offre toutes sortes de possibilités de contretemps rythmiques, de substitutions
harmoniques,
de changements de gamme,
de détournements de thème et d’imprécisions fécondes lesquelles, finalement, libèrent les interprètes en les
autorisant à risquer l’imperfection, pour se rapprocher d’une certaine « justesse ».
« Ils vous enseignent qu’il y a une limite à la musique. Mais il n’y a aucune limite à l’art »
Charlie Parker
FOUILLANT ARDEMMENT LES RESSOURCES
DE SON LANGAGE POUR ATTEINDRE À SES RACINES
La fonction du style est de donner un percept culturel à l’émotion.
La musique savante occidentale réalise avec bonheur cette ambition en travaillant sur « l’ESPRIT ». Sa
conception de la perfection s’est traduite par un attachement manifeste au dépassement idéal et aux sentiments
sublimes, son attachement à traduire la ferveur et la complexité des sentiments. En revanche, et à mon avis,
le jazz travaille avec bonheur sur le désir essentiel du « CORPS ».
La forme rythmique qui illustre le mieux le désir essentiel du corps, c’est le groove, ce terme qu’on emploie
pour parler d’une musique inspirée et qui « avance ». En français, ce terme se traduirait par « sillon » :
pénétration du soc de la charrue dans le sol pour préparer la levée des récoltes futures. C’est-à-dire sa
persévérance
à aller à sa source, aux racines de la vie.
« le jazz a été notre langue de communication, pour nous qui en étions privés et interdits »
Charlie Mingus
Pratique
des combos
Comme je ne sais pas comment vous parler de ma peinture, j’ai choisi de faire un pas de côté en vous invitant à partager mes réflexions sur la pratique du jazz dans les années 1940/1960. À vous de dire si ces notes sur le jazz vous parlent aussi de ma peinture?
UNE OUVERTURE POUR MA PEINTURE
UN ART
TOUT D’EXÉCUTION
Le jazz n’a rien à raconter ; rien à expliquer ni interpréter ; son propos n’est pas de convaincre, ni d’atteindre au sublime. Le jazz est une pratique, un art tout d’exécution. L’ambition des musiciens du combo n’est pas de raconter des histoires passionnantes, mais simplement de faire danser et de donner à chacun l’envie de danser sa vie.
MAIS UN ART QUI TRANSCENDE
LA PAUVRETÉ DE SES MOYENS
Le combo est un petit groupe de trois à six (ou huit) musiciens, cooptés pour former sous l’autorité d’un leader une combinaison instrumentale singulière. Son organisation bipolaire est apparemment simple : une section mélodique chargée de développer le thème du morceau et une section rythmique chargée de sanctuariser le tempo et d’accompagner la mélodie. Les sources du répertoire sont des plus modestes : gospels, chansons, standards populaires, simples riffs, etc. L’interprétation, quoi que très raffinée et très sophistiquée, ne s’embarrasse pas de formalismes exigeants ni de sentiments originaux, préférant la liberté de l’improvisation au confort de la composition. Avec ses modestes moyens et son style propre, mariant intensité, tension, sensualité et tendresse, le jazz a produit une musique qui touche et surprend à la fois, à contre-courant des goûts de son époque pour le formalisme de l’art constructiviste.
UN ART PARFAITEMENT ADAPTÉ
À LA LIBERTÉ D’IMPROVISATION
Un jazzman, à ce que l’on dit, a deux idées en tête : comparer ses performances à celle du voisin dans des compétitions fraternelles et travailler sensuellement le corps des danseurs qui l’écoutent. Le combo, avec son effectif réduit, à la différence des big-bands, offre aux instrumentistes la possibilité d’improviser (de « chorusser ») à tour de rôle, de donner libre cours à leur inventivité et leur goût pour la liberté d’expression, et l’affranchissement des limites imposées. Cette créativité sans entrave associée à une grande maîtrise technique a donné au jazz son caractère anticonformiste capable cependant de maîtriser sa puissance sauvage.
S’APPUYANT SUR UNE STRUCTURE
RYTHMIQUE EN TENSION OUVERTE
Comme la liberté d’improvisation, la contrainte rythmique et l’affaire de tous les musiciens du combo, mais son sanctuaire c’est la section rythmique. Le jazz n’a jamais perdu de vue ses origines de la Nouvelle-Orléans ni sa première manière de Dixieland qui combinait si joyeusement la liberté sans frein des cuivres et la cadence syncopée des tambours. Cette musique a beaucoup évolué et la section rythmique a beaucoup gagné en souplesse et en liberté d’expression ; mais ce qu’elle n’a jamais oublié, c’est la base stylistique de son rythme : le swing . C’est cette mystérieuse « puissance de vie » qui donne sa cohérence à toutes les forme de jazz. Les musicologues expliquent bien les particularités de son organisation rythmique mais non sa séduction. Ce que ressent l’amateur sensible, c’est toute autre chose ! Le combo bataille et résiste, rebondissant de tension en tension, ouvrant sans cesse de nouveaux fronts d’intensité et comme un volcan qui gronde et fissure ses flancs, qui lance au ciel des jets de flammes et de pierres en feu comme un chorus ardent, puis se répand en grandes coulées de lave lumineuses et chaudes comme un air de blues. Et comme le volcan, le combo qui brille de tous ses feux en surface sait bien que ses forces vives se cachent au cœur de sa fournaise intérieure.
UN ART QUI RECHERCHE
INSTINCTIVEMENT LA « PARFAITE IMPERFECTION »
Le swing, disait un personnage célèbre (Treadwell), « vous pouvez le sentir, mais vous ne pouvez pas l’expliquer ». C’est pourtant ce mystérieux « feeling » qui donne sa cohérence à toutes les libertés d’invention et toutes les contraintes de la musique. Ce qui surprend toujours, c’est l’adresse avec laquelle les musiciens du combo combinent rythmes et solos, développent leur parti pris, leurs changements de pieds, avec une apparente désinvolture, parvenant cependant à produire une musique qui étonne par sa grande justesse. Et en vérité, ce qu’il faut chercher à comprendre, c’est en quoi consiste cette « justesse » qui ouvre le chemin à la parfaite imperfection.
EN SUIVANT
LA VOIE DE LA « JUSTESSE »
Des générations de musiciens ont fait du jazz une musique très codifiée. Il suffit d’ouvrir une recherche sur Internet pour s’en rendre compte. Voulez-vous savoir ce qu’est une grille d’harmonie, un accord de substitution, une balade, un swing, un chabada, une cellule Anatole, une poursuite en chase ? Consultez une des innombrables descriptions et les tutoriels qui en parlent dans toutes les langues. Vous comprendrez pourquoi des millions de jazzmen amateurs travaillent avec tant d’assiduité leur technique et ses impressionnantes subtilités. Pourtant, ce n’est pas cette complexité qui permet aux grands jazzmen d’exprimer leur personnalité et leur créativité. En fait, la technique du jazz a deux effets : d’un côté, elle renforce la cohésion instrumentale du combo et de l’autre côté, elle offre toutes sortes de possibilités de contretemps rythmiques, de substitutions harmoniques, de changements de gamme, de détournements de thème et d’imprécisions fécondes lesquelles, finalement, libèrent les interprètes en les autorisant à risquer l’imperfection, pour se rapprocher d’une certaine « justesse ».
FOUILLANT ARDEMMENT LES RESSOURCES
DE SON LANGAGE POUR ATTEINDRE À SES RACINES
La fonction du style est de donner un percept culturel à l’émotion. la musique savante occidentale réalise avec bonheur cette ambition en travaillant sur « l’ESPRIT ». Sa conception de la perfection s’est traduite par un attachement manifeste au dépassement idéal et aux sentiments sublimes, son attachement à traduire la ferveur et la complexité des sentiments. En revanche, et à mon avis, le jazz travaille avec bonheur sur le désir essentiel du « CORPS ». La forme rythmique qui illustre le mieux le désir essentiel du corps, c’est le groove, ce terme qu’on emploie pour parler d’une musique inspirée et qui « avance ». En français, ce terme se traduirait par « sillon » : pénétration du soc de la charrue dans le sol pour préparer la levée des récoltes futures. C’est-à-dire sa persévérance à aller à sa source, aux racines de la vie.
« Ça m’embête quand les gens essayent d’analyser le Jazz comme si c’était un théorème intellectuel. Ce
n’est
pas le cas, c’est un sentiment »
Bill Evans
« Ce que nous jouons, c’est la vie. »
Louis Armstrong
« Le jazz est vif, douloureux, doux, tendre, lent ; il apaise, il bouleverse, c’est de la musique et ce
qu’il
rythme est vrai, c’est le pouls de la vie. »
André Maillet
« Le jazz, vous pouvez le sentir, mais vous ne pouvez pas l’expliquer »
J. Treadwell
« Le rythme n’est pas une mesure, c’est une vision du monde »
Octavio Paz
« Le jazz, c’est du swing, une manière d’interpréter le tempo… Qui peut dire où ça commence et où ça
s’arrête
? »
Didier Lockwood
« Le jazz c’est comme l’amour ; c’est n’importe quoi, mais pas n’importe comment »
Grégoire Lacroix
« Ce sont les notes qu’on n’entend pas qui sont les plus importantes »
Count Basie
« Ils vous enseignent qu’il y a une limite à la musique. Mais il n’y a aucune limite à l’art »
Charlie Parker
« le jazz a été notre langue de communication, pour nous qui en étions privés et interdits »
Charlie Mingus